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Le sociologue et essayiste Rabah Sebaa vient de publier un recueil de chroniques aux éditions Frantz Fanon au titre éloquent : Algérécides, chroniques d’un pays inquiet. A travers ces 155 chroniques, il dépeint l’actualité du pays, bouffée par la sBeaucoup de chroniques sont écrites à travers le prisme sociologique ou anthropologique
Le sociologue et essayiste Rabah Sebaa vient de publier un recueil de chroniques aux éditions Frantz Fanon au titre éloquent : Algérécides, chroniques d’un pays inquiet. A travers ces 155 chroniques, il dépeint l’actualité du pays, bouffée par la sinistrose, mais où germent en même temps, de façon subsidiaire, quelques lueurs d’espoir - Algéricides, chroniques d’un pays inquiet est un recueil contenant 155 chroniques inspirées de l’actualité du pays. Dans quelle ambiance les avez-vous écrites, et à quelle période de l’année ? Nombre de ces chroniques sont reprises d’un recueil paru il y a près d’une vingtaine d’années et intitulé Fragments d’Algérie. On peut constater qu’elles n’ont rien perdu de leur actualité. D’autres ont été écrites au gré des humeurs durant ces dernières années. Certaines, seulement quelques semaines avant la publication de l’ouvrage. - Ces chroniques s’inspirent de l’actualité du pays, mais à les lire, on se rend compte qu’il y a une volonté de dire les choses par messages subliminaux, sans désigner les individus nommément, sans dire les choses crûment. Pourquoi ce choix ? Il s’agit d’une expression que d’aucuns peuvent considérer comme forte voire excessive. Sachant que le suffixe «cide» signifie le meurtre du radical qui le précède. Mais l’Algérie étant une entité géographique, il s’agit de mort métaphorique et non pas physique comme dans le cas d’un homicide, d’un parricide ou d’un infanticide… Il existe plusieurs manières de tuer l’Algérie. Cette mort métaphorique de l’Algérie et qui est répétitive se situe au moins à un triple niveau : d’abord sur le plan politique, par l’inconséquence intrinsèque et l’inanité structurelle qui habitent la gouvernance de ses dirigeants successifs. Ces dirigeants qui la traînent dans la boue depuis des lustres. La pillant continûment, la saccageant, la dévalisant et l’avilissant aux yeux du monde. Afin de préserver leurs privilèges au détriment d’un quelconque intérêt collectif. Au détriment de l’Algérie entière. Sur le plan institutionnel ensuite, par des dysfonctionnements constitutionnels qui se réitèrent et s’approfondissent sans cesse. Je me contenterai de prendre deux exemples. Nous observons le comportement intolérable, et parfois scandaleux, des indignes dignitaires qui squattent les institutions, y compris jusqu’au creux des deux anfractuosités prétendument parlementaires. Ces deux anfractuosités, Parlement et Sénat, qui cautionnent institutionnellement le mensonge et le déni. Ensuite la déliquescence généralisée qui gagne les fondements de l’Etat. L’une des premières chroniques a pour titre Déliquescence ( p 31) qui cite un rapport sur l’Etat qui reconnaît en toute officialité qu’il s’agit d’un non-Etat. Sur le plan sociétal, enfin par un déficit drastique de civisme touchant la quasi-totalité de la population, sur un nombre important de questions comme l’enfance, l’éducation, la considération due à la femme, hygiène publique… Il ne faut pas se voiler les yeux, et encore moins succomber aux sirènes du populisme ravageur. - Dans votre chronique Brisure, vous revenez sur les événements d’Octobre 88 qui ont finalement abouti, selon vous, à «un simulacre d’ouverture», ou «à une démocratie d’opérette». Nous célébrons cette année le 30e anniversaire de ce soulèvement populaire. Qu’est-ce que cela vous inspire ? Un sentiment d’un incommensurable gâchis. Beaucoup de rêves et d’espoirs se sont lamentablement fracassés sur les parois rigides du déni. A l’époque, j’avais parlé de fausse brisure. Et un peu plus tard de démocratie introuvable. Malheureusement, il est loisible de constater que c’est toujours le cas. Malgré tous les sacrifices consentis. - Ces chroniques se veulent une fresque peignant l’Algérie actuelle, cela va de la situation politique aux faits sociétaux, en passant, de temps à autre, par quelques moments de poésie, comme par exemple l’hommage que vous rendez à Oran, ou encore l’hommage aux travailleurs algériens «qui méritent toutes les considérations». Pourquoi ce choix ? Est-ce une volonté de laisser transparaître un peu d’optimisme à travers vos écrits ? Beaucoup de chroniques sont écrites à travers le prisme sociologique ou anthropologique. Mon intérêt pour les populations algériennes est en lien avec mon métier. Les populations algériennes sont dévastatrices, parfois, de leur propre socle sociétal. Elles souillent leur propre nid selon la célèbre métaphore. Elles sont souvent irrespectueuses d’elles-mêmes. Trop souvent. Les chroniques les plus nombreuses sont consacrées aux comportements antisociétaux. Vous voyez bien que les «algéricides» sont divers et nombreux. Parfois dans des catégories sociales insoupçonnées. Quant à la question du comment de l’advenue de ces algéricides, elle recoupe un faisceau de raisons, conscientes ou inconscientes, obéissant à la réalisation d’intérêts matériels ou symboliques contredisant ou s’opposant à l’intérêt général. Donc contredisant la vitalité et les pulsations de vie de l’Algérie. Cette «résistance spontanée», je ne dirais pas qu’elle se trouve chez les Algériens, mais plutôt dans la dynamique de la société algérienne. Elle habite le tréfonds de l’Algérie plurielle qui sème la vie. Cette Algérie pluridimensionnelle. Son désir d’être et de vivre a toujours été plus fort que toutes les volontés mortifères. Parfois dans des conditions abominables. Regardez le problème des «harraga», (plusieurs chroniques) ces jeunes qui ne vivent que pour ne plus rester. Leurs rêves sont ailleurs et un ailleurs habite leurs rêves. Leur attachement viscéral à la vie les tient dans la conjugaison de l’avenir au présent. Ils finissent par embrasser cette terre qui les étreint. Cette terre qui les absout de leurs pérégrinations adultères. On voit bien que les algéricides ne se concentrent pas seulement dans les sphères du pouvoir mais se recrutent dans toutes les stratifications de la société. Pour paraphraser Mahmoud Darwich : «Chaque fois que l’on tue, l’Algérie elle oublie de mourir». Oranitude est la meilleure illustration de ce désir de vivre. - L’expression «la déferlante bazardante», qui signifie l’économie de marché, est assez récurrente dans votre recueil. Selon vous, est-ce cette déferlante qui est à l’origine de tous nos maux ? Pas seulement. Mais toute la faune bigarrée qui se planque derrière, oui. Elle a fait en sorte que l’économie algérienne se trouve sur les genoux. Le meilleur indice est bien le niveau général des prix, la dégringolade du pouvoir d’achat et bien évidemment le dinar transformé en monnaie de singe. Ce qui ne va pas sans impacter la qualité de la vie en société. - Le livre se termine sur une note positive avec une chronique emplie d’espoir. Est-ce une façon de dire que rien n’est jamais perdu, que l’espoir est toujours de mise et qu’il est permis de croire, malgré la sinistrose actuelle, les lendemains meilleurs ? Le choix de cette chronique pour clore le livre n’est pas fortuit. Le titre non plus. Il s’agit, dans ce texte, d’une tonalité «positivante», comparativement à la colère permanente qui habite la quasi-totalité des autres chroniques. Elle incite à l’espérance en la foi d’une société algérienne, enfin débarrassée des prédateurs qui lui ont lacéré la peau et «embleui» l’âme. Une Algérie sans algéricides peut exister. Elle doit exister. Read more