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Delacroix, arrivé à Alger le 22 juin à onze heures, en repart le 25. Durant ces quatre jours, Delacroix note tout ce qu’il voit. Il emprunte un itinéraire tracé pour les Européens qui le mène de la Basse Casbah au Palais du Dey. Rares sont les œuEugène Delacroix, un orientaliste singulier
Delacroix, arrivé à Alger le 22 juin à onze heures, en repart le 25. Durant ces quatre jours, Delacroix note tout ce qu’il voit. Il emprunte un itinéraire tracé pour les Européens qui le mène de la Basse Casbah au Palais du Dey. Rares sont les œuvres qui ont été autant appréciées des plus grands peintres : Renoir, Signac, Cézanne, Picasso, qui a créé une série de quinze peintures, Femmes d’Alger, en hommage à Delacroix. De Delacroix lui-même il existe deux versions : Femmes d’Alger dans leur appartement (1834) et Femmes d’Alger dans leur intérieur (1849). Il existe aussi un grand nombre de copies, dont une partielle, acquise par le Musée des beaux-arts d’Alger auprès de la galerie Tempelaere, en 1929. Selon Jean de Maisonseul, le premier directeur du musée à l’indépendance, elle serait due à Renoir, hypothèse aujourd’hui réfutée. Pourquoi tant de passion autour de ce tableau ? Un tableau naturaliste Delacroix, arrivé à Alger le 22 juin à onze heures, en repart le 25. Delacroix, durant ces quatre jours, note tout ce qu’il voit. Il emprunte un itinéraire tracé pour les Européens, qui le mène de la Basse Casbah au Palais du Dey. Une réception est organisée en l’honneur de Mornay par le duc de Rovigo au Palais du Dey. Il y rencontre l’ingénieur du port, qui l’introduit dans une famille algéroise (et non dans un harem comme Philippe Burty en a répandu l’idée). Il fixe dans un dessin conservé au Louvre l’aspect de la maison. Ses carnets conservent les noms des dames dont il esquisse le portrait dans des aquarelles qui serviront de base à la composition monumentale que constitue Les Femmes d’Alger dans leur appartement. D’Algérie, il rapporte aussi toutes sortes d’objets qu’il léguera après sa mort et qui lui serviront pour la réalisation du tableau. Sans doute le soin qu’il apporte à restituer l’intérieur est-il une des premières raisons de l’attrait que le tableau exerce : qui connaît ceux des palais de La Casbah épargnés par les destructions reconnaît l’atmosphère sombre, les faïences de Delft, les miroirs vénitiens, les portes et l’architecture ottomanes. Le réalisme tient aussi à la précision apportée dans la mise en scène des objets (kanoun, narguilé, étains) et le rendu des vêtements, de leurs textures et de leurs ornements. Si Delacroix monumentalise une scène de genre -le portait de femmes dans un intérieur-, c’est que le décor témoigne de sa fascination pour la civilisation qu’il découvre, fascination qui s’est transmise. Le Musée du Bardo, résidence de l’époque ottomane, a d’ailleurs longtemps abrité une «period room» (chambre d’époque) qui était la matérialisation du tableau. La chair du tableau : «un amas de soie et d’or» A la différence de la plupart des orientalistes qui mettent en scène des odalisques dans un Orient fantasmé, Delacroix fait le choix de représenter des femmes dans leur milieu. On a donné toutes sortes d’interprétations du tableau de Delacroix et on a souvent fait de la représentation de ces trois femmes l’image de la condition féminine dans l’Orient du XIXe siècle, recluses dans des appartements dont elles ne pouvaient sortir. On a aussi fait remarquer à juste titre qu’il s’agissait d’une représentation de femmes appartenant à une classe sociale correspondant à la bourgeoisie en France. Mais réduire le tableau à un document ethnographique serait une perspective erronée : l’esthétique de Delacroix est avant tout la volonté de traduire le sentiment si fortement éprouvé d’«un amas de soie et d’or». Qu’il soit un peintre français, qu’il ait en tête des manières de représenter une ou des femmes dans leur intérieur, n’enlève rien à l’universalité du sentiment d’émerveillement qu’il a su si bien traduire dans l’extrême subtilité des déclinaisons de tons : les couleurs à la fois se répandent et structurent le tableau ou se mêlent dans des accords inattendus. Les étoffes savamment rendues dans leur richesse font briller les corps, suggèrent la soie et l’or, la fouta de la servante fait rayonner le rouge. Le réalisme s’allie paradoxalement au rêve, la vue à la suggestion du toucher. Le poète Baudelaire y voit «un petit poème d'intérieur, plein de repos et de silence, encombré de riches étoffes et de brimborions de toilette», un moment de nostalgie mélancolique. Lors de sa présentation au Salon de 1834, le tableau suscite des réactions très opposées : certains y voient avec admiration de la «pure peinture», d’autres, tout à leur misogynie et à leur xénophobie critiquent l’aspect des femmes. Quand, bien plus tard, en 1980, Assia Djebar fait paraître un recueil de nouvelles intitulé Femmes d’Alger, en mémoire de Delacroix et Picasso, elle note à propos des femmes du tableau de Delacroix : «Ne s’abandonnant ni ne se refusant au regard. Etrangères mais présentes terriblement dans cette atmosphère de claustration…Ces femmes ne cessent de nous dire quelque chose d’insoutenable et d’actuellement présent.» La séduction du tableau n’est-elle pas plutôt dans l’anamnèse auquel le regard du peintre nous convie, dans la recherche d’un temps perdu? Ce n’est pas un hasard si ce tableau, qui garde toute sa force depuis bientôt deux siècles, occupe une place centrale dans l’exposition du Louvre. Read more