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Vous avez travaillé avec Abdelkader Alloula. Parlez-nous de cette expérience ? A cette époque de ma vie, Alloula était un repère. J’ai appris à le connaître avec la pièce Les bas-fonds (Al Dahaliz) en 1985. Nous sommes devenus des amis après.«Certains disent qu'il faut casser les tabous»
Vous avez travaillé avec Abdelkader Alloula. Parlez-nous de cette expérience ? A cette époque de ma vie, Alloula était un repère. J’ai appris à le connaître avec la pièce Les bas-fonds (Al Dahaliz) en 1985. Nous sommes devenus des amis après. Je suivais de près toutes les mises en scène qu’il faisait. J’insistais pour avoir la critique de Alloula à chaque fois que je jouais dans une pièce. Sans cette critique, je considérais que mon travail n’était pas fini. Alloula, en homme généreux, se déplaçait avec ses amis pour assister à nos spectacles. Je me souviens qu’il était venu d’Oran assister à la pièce Galou laârab à Sidi Bel Abbès. La dernière fois que j’ai vu Alloula vivant, c’était à Skikda, en 1993. Je participais avec Sid Ahmed Agoumi à la pièce L’amour et après, de Masrah El Qalaâ. Il était venu avec Ghaouti Azri et Mohamed Haïmour nous soutenir à l’hôtel. Nous étions restés jusque tard dans la nuit à discuter autour de la pièce et à la décortiquer. Alloula m’avait beaucoup soutenue lorsque j’ai commencé à travailler avec Rachid Boudjedra sur l’adaptation du Journal d’une femme insomniaque. J’avais beaucoup d’appréhension par rapport à l’adaptation de ce roman, un texte très osé. Il fallait pour moi trouver la manière subtile de dénoncer des choses sans heurter le spectateur qui est dans la salle assis à côté de sa fille. Alloula m’avait aidée à atteindre cet objectif. Je peux parler pendant des heures sur Alloula, un homme généreux, qui donnait énormément dans sa vie, dans son travail. J’ai appris beaucoup de choses avec lui. C’était un homme ordonné et structuré. Pour Les bas- fonds, il avait tracé une mise en scène avec méthode. Il avait amené les comédiens à voir des films russes à la Cinémathèque, nous a parlé de la biographie de Maxime Gorki, expliquant les raisons de l’écriture de sa pièce Les bas-fonds. Alloula décortiquait chaque personnage humainement, psychologiquement. Il nous amenait vers le rôle sans nous rendre compte. Il vous mettait dans l’atmosphère du texte… C’est ce qu’il disait. Pour lui, le comédien devait être chargé par l’histoire racontée. D’où toutes les informations qu’il donnait autour de l’œuvre mise en scène. Cela donne des clefs au comédien pour être juste dans le personnage… Selon vous, vingt ans après, l’héritage de Alloula a-t-il été respecté, entretenu en Algérie ? La grande chance que nous avons est que Alloula nous a laissé des textes édités, comme Lejouad, Legoual et Litham. Ces textes, revisités ponctuellement, font partie du patrimoine théâtral national. Jusqu’à la fin des temps, il y aura toujours des artistes qui voudront les revisiter à leur manière. Envisagez-vous de reprendre un de ces textes pour le mettre en scène ? Pour l’instant, je n’oserai pas ! Il n’est pas du tout évident de monter les pièces de Alloula. C’est difficile. Vous aviez joué dans la pièce Lejouad (Les généreux) de Alloula. Racontez-nous cette expérience ? C’est une expérience qui n’était pas probante pour moi. En tant que comédienne, j’étais à côté de ce que ce rôle exigeait de moi. J’étais dans un état très sensible. Le spectacle a été monté une année après l’assassinat de Alloula (le dramaturge a été tué en mars 1994 à Oran, ndlr). Je jouais le personnage de l’institutrice qui ne devait pas exprimer des émotions. L’autre personnage, Lemnouer, évoquait la générosité d’un ami mort à travers son squelette. Inévitablement, je pensais à Alloula et je ne retenais pas mon émotion. Je n’étais plus donc dans le côté «carré», scientifique, de l’institutrice. Lors de la 3e édition du Festival de Annaba, une pièce a suscité quelque peu la polémique, Le retour de Shakespeare, de Meriem Allak (Batna). Une pièce qui critique la situation actuelle du théâtre algérien. Cette critique est-elle fondée ou exagérée ? Pour évoquer la médiocrité, il faut d’abord être sûr qu’on n’est pas soi-même médiocre. C’est très facile de s’attaquer au théâtre et d’aborder des questions qu’on ne maîtrise même pas. Nous sommes des responsables de théâtres régionaux et nous savons que le théâtre n’est pas seul dans la société dans laquelle nous vivons. Il fait partie d’un tas d’autres choses. Nous avons des problèmes de public, de formation. Pensez-vous que nous avons suffisamment de metteurs en scène ou de scénographes en Algérie ? On peut les compter. On arrive à peine à avoir un nombre assez respectable de comédiens. Et encore ! Nous essayons donc, avec ce que nous avons, de faire des choses. Le Festival de Annaba a le mérite d’exister. Idem pour les théâtres régionaux qui s’ouvrent de plus en plus. Dans certaines régions, le théâtre a disparu depuis des années. C’est à peine maintenant que les choses reprennent. Vous avez l’expérience de la gestion, puisque vous avez été directrice du Théâtre régional de Skikda et actuellement de Annaba. Quelles sont les difficultés à gérer un théâtre régional ? Moi, je gère le théâtre comme une artiste, pas comme une administratrice. J’ai des collaborateurs qui maîtrisent mieux que moi les questions de l’administration. A chaque fois, je mets en place un climat de confiance avec le personnel. Je m’intéresse ensuite aux aspects artistiques et de formation. Je fais de la formation sur le tas. Je transmets ce que je sais aux comédiens. Je l’ai fait à Skikda avec un groupe de jeunes. Ici, à Annaba, je suis contente parce que nous avons de jeunes comédiennes qui travaillent d’une manière régulière. Le théâtre algérien manque de techniciens (machinistes, éclairagistes…). Que faire ? Nous avons effectivement un manque de techniciens. Beaucoup sont déjà partis à la retraite et nous peinons à les faire remplacer. Je viens d’engager deux jeunes hommes qui ont bénéficié de formation. Il y a manque de sonoristes, de régisseurs. Bref, tous les métiers du théâtre. Le machiniste est un vrai métier. Il n’est pas là pour déplacer les décors uniquement. Il faut qu’il soit capable de monter et de démonter le décor, de le transporter dans de bonnes conditions. Il faut qu’on s’occupe de ces métiers, qu’on assure des formations. Faut-il créer une école nationale des métiers du théâtre en dehors de l’Ismas ? Il faut créer une école pour former à tous les métiers du théâtre. A commencer par la maquilleuse et la costumière. Ici, à Annaba, nous n’avons pas de costumière. Je travaille avec une couturière extérieure. Or, la couture d’un costume de théâtre ne peut en aucun cas, ni dans la matière ni dans la forme, ressembler à la confection d’un robe de soirée. Je crois qu’une réflexion est menée actuellement pour régler ce problème. Vous comptez visiblement remonter sur scène… Cela fait cinq ans que je n’ai pas mis les pieds sur scène. J’ai une envie de remonter pour jouer un nouveau rôle. J’ai un projet avec Mourad Senouci pour adapter Syngué Sabour (Pierre de patience) de l’écrivain afghan Atik Rahimi (le roman a été adapté au cinéma en 2012). J’ai lu le roman et j’ai trouvé l’idée extraordinaire, celle d’une femme qui soigne son mari dans le coma et qui lui raconte leur vie avec tout ce qu’elle a de terrible. L’homme est dans le coma mais entend tout. Il est reproché au théâtre algérien actuel un certain éloignement du spectacle. Vous en pensez quoi ? Il faut avoir une certaine cohérence dans la démarche du spectacle. Un spectacle populaire est créé pour que les gens rigolent. Il y a une manière de faire du théâtre de réflexion. On évoque souvent la narration. Tout le théâtre de Alloula est narratif, mais il est fait d’une certaine manière qui le rapproche du public. Certains disent qu’il faut casser les tabous. OK., mais avec quoi ? En fait, tout dépend de la démarche artistique à adopter. Il ne s’agit pas de faire pour dire qu’on a fait ceci ou cela. Cela dit, on se recherche toujours. En cinquante ans, nous avons eu Kateb Yacine, Alloula, M’hamed Benguettaf, Ould Abderrahmane Kaki, Mustapha Kateb… Ce n’est pas facile d’avoir des talents pareils. On ne fabrique pas à la chaîne des dramaturges avec une vraie démarche, une vraie vision (…). Je fais ce métier en Algérie depuis quarante ans et je le dis et le redis : je n’ai jamais eu un problème de censure au théâtre. En 1989, à Damas, le public était étonné par la tonalité libre de la pièce Les martyrs reviennent cette semaine qui était produite par le Théâtre national algérien (TNA). Cette année, l’Algérie a perdu M’hamed Benguettaf. Parlez-nous de votre expérience avec lui ? Benguettaf est l’auteur que j’ai le plus joué en Algérie. J’ai eu la chance d’être dans la première version de la pièce Fatma. A l’époque, je voulais me confronter à quelque chose de difficile en interprétant plusieurs rôles en même temps. J’ai expliqué l’idée à M’hamed. Quelque temps après, il est revenu avec un texte qu’il a lu devant moi, Ziani Chérif Ayad et Azzedine Medjoubi. J’ai adoré le défi dans cette pièce. En plus, l’humanisme et l’humour de Fatma. J’ai remonté cette pièce ainsi que Les martyrs reviennent cette semaine. Je pourrais reprendre d’autres textes de Benguettaf pour monter des pièces dans le futur, pourquoi pas. J’ai joué aux côtés de Benguettaf dans plusieurs pièces comme Galou Lâarab, Al Ayta, Les bas-fonds… Un jour, figée par le trac, avant le début de la pièce Les Martyrs reviennent cette semaine, à Constantine, la ville où j’ai grandi et où j’ai été à l’école, M’hamed, qui était derrière moi, m’a poussée de toutes ses forces pour me projeter sur scène. La salle était archicomble et je disais au technicien que je n’étais pas prête. Dans les tournées avec Masrah El Qalâa, M’hamed avait chaque soir quelque chose à nous lire, pas forcément ses propres textes. Il aimait partager les textes qui lui plaisaient. * Cette interview de Sonia a été publiée dans El Watan, Arts & Lettres, le samedi 15 mars 2014, à l’occasion du Festival du théâtre féminin de Annaba, dont elle était la responsable tout en dirigeant le théâtre régional Azzedine-Medjoubi. Nous avons retranché toutes les questions relatives au Festival qui demeurent disponibles sur le site du journal. Read more