Un artiste réservé et distant mais profondément humain
newsare.net
Il était réservé, distant et à la limite antipathique, mais d’apparence seulement, car une fois approché, lorsque la confiance s’installe, on découvrait chez lui une générosité hors du commun. La nouvelle du décès du peintre Abdallah BenmansoUn artiste réservé et distant mais profondément humain
Il était réservé, distant et à la limite antipathique, mais d’apparence seulement, car une fois approché, lorsque la confiance s’installe, on découvrait chez lui une générosité hors du commun. La nouvelle du décès du peintre Abdallah Benmansour, survenu à l’âge de 88 ans, a déjà fait, le 2 décembre, le tour de la ville d’Oran. Natif de Tlemcen en 1929, il a séjourné à Paris, Alger et Mostaganem, avant de s’installer définitivement à Oran pour officier dans une librairie située à côté de la Grande-Poste d’Oran. C’était une librairie, mais il en a fait un espace d’exposition pour ses propres travaux et un atelier où il s’ingéniait à réinventer son style. C’était un peintre «du terroir» pour l’intérêt qu’il accordait à l’architecture et aux scènes de vie maghrébines, mais il s’échappait de temps à autre pour laisser exprimer sa palette au gré de ses humeurs et qu’il figeait dans des natures mortes. Ce lieu n’était pas célèbre ni même très fréquenté, mais il a été a pendant longtemps un passage incontournable pour les artistes. Quand on rentre chez lui, la première impression qui nous vient à l’esprit, c’est d’être chez un antiquaire. Le temps semble être figé, mais on se rend très vite compte que c’est aussi un lieu de création artistique. Hadj Abdallah Benmansour n’aimait pas se mettre sous les feux de la rampe. Il était réservé, distant et à la limite antipathique, mais d’apparence seulement, car une fois approché, lorsque la confiance s’installe, on découvrait chez lui une générosité hors du commun. Plusieurs générations de peintres l’ont approché et pourraient en témoigner, mais le témoignage le plus significatif reste celui de Rachida Adjal. Etudiante à l’Ecole des beaux-arts d’Oran vers la fin des années 1990, elle n’avait jamais entendu parler de lui. «A l’époque, pour me rendre à l’école, je passais régulièrement devant cette librairie un peu étrange et ce qui m’avait attirée c’était les tableaux exposés, parfois des sculptures mais qui changeaient à chaque fois et c’est justement l’attrait pour l’une d’elles qui m’a donné le courage d’oser franchir la porte», se remémore-t-elle. A cet instant, elle ne se doutait pas encore qu’une amitié allait naître entre elle et ce vieil homme qui avait déjà depuis longtemps tourné le dos au public. «Au départ, il était réservé, mais quand je lui ai dit que j’étais étudiante à l’Ecole des beaux-arts, il a tout de suite montré un visage bienveillant». Les visites devenaient fréquentes et, au fur et à mesure, l’artiste en herbe apprenait qu’il refusait de vendre ses toiles, mais qu’il était intéressé par les travaux qu’elle lui montrait. «Il était tellement émerveillé par une de mes aquarelles représentant un Targui qu’ il me l’a demandée et je la lui est offerte sans hésiter». Le geste l’avait tellement ému qu’il l’a prise sous son aile en commençant par lui présenter sa propre fille puis en l’invitant chez lui avec sa propre famille, leur disant affectueusement qu’elle était aussi sa fille. Il était aussi réputé pour sa culture et les conseils qu’il lui prodiguait étaient d’une valeur inestimable. «Il m’orientait techniquement et quand il voulait critiquer mes œuvres, il le faisait avec tellement de finesse que je les acceptais avec un grand plaisir». Rachida Adjal était par contre fière de l’entendre dire : «Tu es en avance sur ton temps !» De son côté, appartenant à une autre génération, Nourredine Belhachemi, peintre réputé confirme : «C’était un peintre profond doublé d’un grand pédagogue. Il avait sa propre esthétique et c’était quelqu’un qui était constamment à la recherche du beau. On décelait chez lui une très grande sensibilité dans le choix des couleurs, des formes et en regardant certaines de ses œuvres on a l’impression de flotter.» Cet enseignant, en même temps chercheur dans le domaine de la peinture algérienne, estime que l’histoire de l’art ne lui a pas encore donné la place qu’il mérite, car il était précurseur de beaucoup de choses dont celle d’avoir été parmi les premiers à exposer, notamment après l’Indépendance et à ouvrir une galerie. «Il ne vendait pas ses œuvres, car il considérait que c’était un patrimoine commun qu’il léguerait à tous les amateurs d’art en Algérie», confie Belhachemi, qui rappelle aussi son engagement pour la cause nationale. Mourad Belmekki est un autre peintre qui l’a approché : «Nous prenions souvent un café ensemble du côté de la grande poste, pas loin de sa librairie et nous discutions. Dans son travail artistique, il touchait un peu à tout mais sa palette, particulièrement riche, était reconnaissable sans qu’il ait à signer ses œuvres. Il était réputé pour être sévère et distant pour avoir tourné le dos au public, mais nous avions réussi, petit à petit, à le convaincre de sortir de son isolement pour le faire participer notamment à la troisième édition du Salon national des arts plastiques que nous avions organisé avec Civ-œil.» Belmekki estime qu’il s’était à un moment rapproché du mouvement Aouchem, mais qu’il reste inclassable, même si on peut déceler chez lui des tendances vers l’expressionisme ou le fauvisme. «Il est venu deux à trois fois à l’Ecole des beaux-arts, mais c’est surtout nous qui allions lui rendre visite», se rappelle Abderrahmane Mekki, directeur, qui rappelle sa qualité de doyen parmi les doyens de la peinture algérienne. «C’est, dit-il, toute une génération qui est en train de s’éteindre.» Read more