Journée nationale de l’artiste Une célébration mitigée
Aujourd’hui, l’Algérie célèbre la Journée nationale de l’artiste. A cette occasion, le président de la République décernera trois médailles du Mérite national à des personnalités marquantes de la scène artistique. Il s’agit de la chanteuse Nouara, du réalisateur décédé Farouk Belloufa et de la regrettée actrice Sonia. El Watan Week-end a donné la parole à quatre figures pour exprimer leurs avis sur la situation des artistes chez nous.
- Djahida Houadef. Plasticienne : Notre culture est en hibernation
La Journée nationale de l’artiste est, selon moi, une journée indispensable qui met les pendules à l’heure et rafraîchit les mémoires quant à l’importance de la culture dans tous les domaines et dans la vie de manière générale. Une journée qui nous permettra de conserver les mémoires avec tous les supports témoins pour idolâtrer les vécus, sacraliser l’histoire de l’humanité, rattraper les lacunes et reprendre notre souffle pour de nouveaux projets.
Une journée réussie ne peut que stimuler davantage. Rien qu’en évoquant le nom de Ali Maâchi symbolisant cette célébration, on comprend le rôle de la culture dans la résistance, dans les messages subtiles interprétés avec l’art et la manière, évoquant ainsi le changement nécessaire pour de meilleures perspectives.
Cette journée est censée être une journée de constat, mais aussi celle qui fête toutes les réalisations de projets culturels tout au long de l’année. Le 8 juin est finalement la journée synthétisant la situation des acteurs et leurs productions. Malheureusement, le bilan de la situation de l’artiste est amer. Malgré toutes les richesses de notre pays, nous n’avons pas encore réussi à écrire notre histoire, à confirmer notre identité et à lever notre bannière.
Toutes nos réalisations culturelles se comptent sur les doigts de la main. Notre culture est en hibernation. La volonté politique toute seule ne suffit pas. Il faut y croire, transpercer les obstacles et agir en souplesse avec les réglementations. D’ailleurs, le statut de l’artiste chez nous commence à peine à se positionner.
Certes, la volonté est là, il y a eu de la reconnaissance, des réalisations comme la couverture sociale des artistes, mais tant que les maillons de la chaîne ne sont pas reliés, la ligne d’arrivée de la course sera encore loin ! La culture est l’affaire de tous ! Les énergies ne pourront pas attendre d’être libérés, les artistes ont besoin d’être accompagnés, surtout financièrement, pour arriver à leurs fins. Les choses ne pourront pas avancer tant que les institutions étatiques et privées compteront leurs sous.
La rouille fait grincer les portes. Elles ne s’ouvrent que difficilement ou pas du tout. Malheureusement, les manques d’opportunités nous laissent, nous les artistes, en éternelle attente ! Cette dernière tue petit à petit tout espoir et mène vers l’abandon.
Les grandes idées suivent leurs époques et la lenteur exercée chez nous ne nous permet pas de nous aligner sur la dynamique et l’effervescence du monde. Nous sommes en décalage constant. La marche à suivre pour que la situation de l’artiste évolue en bien ? S’ouvrir les esprits… Être à l’écoute… Agir avec les autres, partager et vivre ensemble pour mieux avancer.
- Mustapha Nedjaï. Plasticien : Nous vivons dans un pays où il est plus facile de créer un parti «politique» qu’une association culturelle
Le 8 juin est comme toutes les journées. Elle est dédiée aux différentes activités et célébrations dans le pays. C’est aussi l’occasion pour des dirigeants «incultes» de se pavaner et de croire qu’ils ont été utiles à la société. Les choses se répètent chaque année sans plus. En toute sincérité, je deviens allergique à ce genre de journées qui n’ont de sens que pour les politiques et les médias.
Cela rime à quoi de célébrer la Journée des artistes, or ces derniers n’ont même pas de statut ? Il vrai qu’ils sont en train de travailler sur ce fameux statut de l’artiste. Ils en sont même fiers. Or, après 55 ans d’indépendance, c’est le comble ! Car finalement, cette carte d’artiste ne sert strictement à rien, sauf en ce qui concerne la sécurité sociale. Tout le reste n’est que poudre aux yeux.
Malheureusement, dans mon pays, qui ne prend même pas la peine de constituer son patrimoine artistique, les artistes ont besoin d’un tuteur pour exister. C’est simple, on n’existe pas. Nous n’avons aucune visibilité, que ce soit chez nous ou à l’étranger. Nous n’avons aucune rencontre ou biennale internationale dans les arts visuels, ce qui est mon cas en tant qu’artiste plasticien.
En d’autres termes, l’artiste n’existe pas aux yeux de nos dirigeants. Nous n’avons aucune politique culturelle claire à l’échelle nationale, si ce n’est une direction d’une culture événementielle «à donner de la nausée». La faute à qui tout cela ? Le réel problème vient de nos dirigeants. Ils n’ont aucun amour pour ce pays, sinon nous ne serions pas dans cette situation ridicule. Quand on ne sait pas, on s’inspire.
On peut même copier ce qui se fait de mieux ailleurs. Pas besoin de chercher bien loin. Nos voisins marocains et tunisiens sont de parfaits exemples à suivre en la matière. On ne demande à personne de réinventer la roue. Malheureusement, nous vivons dans un pays où il est plus facile de créer un parti «politique» qu’une association culturelle, ce qui est grave.
- Lamia Ait Amara. Chanteuse : Il faut initier la société à la présence de l’art dans la vie quotidienne
Le 8 juin est pour moi un symbole. La journée où l’on prend conscience réellement de l’importance et du rôle de l’artiste. Car un monde sans arts est un monde triste et sans saveur. C’est aussi l’occasion où nous adressons une pensée et rendons hommage à tous les grands maîtres et artistes qui ne sont plus parmi nous.
Personnellement, c’est également la journée qui me rappelle la chance que j’ai de vivre ma passion. Pour toutes ces raisons, cette date doit être marquée par de grands moments de partage entre la société et les artistes. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai dédié cette journée à mon cher public en lui offrant, ce soir au théâtre d’Alger-centre, un «best of» de tous mes spectacles.
D’ailleurs, je ne partage pas l’avis de ceux qui estiment qu’on célèbre l’artiste une fois par an via cette journée. Il s’agit, à mon sens, d’un signe de reconnaissance envers les artistes pour leurs efforts en faveur de la promotion de la scène artistique. Il ne faut pas non plus occulter tous les efforts des établissements organisateurs qui veillent, tout au long de l’année, à la promotion de notre richesse culturelle, notamment par l’organisation de la profession d’artiste, la mise à niveau des salles de spectacles et salles de cinéma, etc.
Par ailleurs, avec la promulgation du statut d’artiste, nous avons maintenant une carte professionnelle. Même s’il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine, je considère que ce pas est d’une extrême importance, puisqu’il donne enfin à l’artiste, musicien ou poète, une existence légale et officielle.
Cependant, je ne vais pas me prononcer sur le bilan de l’artiste algérien de manière générale, mais plutôt dresser le mien. Mon retour sur scène après une longue absence a été, à mon humble avis, plus que satisfaisant. En effet, toutes les portes m’ont été ouvertes par les autorités de tutelle, à l’image du ministère de la Culture, les Etablissements arts et culture, OREF, ONDA, qui donnent, désormais, beaucoup plus de moyens aux artistes pour s’exprimer, se produire et produire.
N’empêche, beaucoup de travaux restent à accomplir, car rayonner par l’art est un signe de bonne santé pour notre société. Je pense éventuellement aux moyens matériels, les salles de spectacles, les ateliers, les bourses de recherches artistiques... Mais cela ne va pas sans initier très tôt la société à la présence de l’art dans la vie quotidienne via les écoles, les centres d’art et autres.
Le chemin est certes encore long, mais je pense que nous, en tant qu’artistes, pour appeler à accorder encore plus d’importance à l’artiste algérien, devons agir et œuvrer davantage pour la recherche et la création artistiques. Nous devons contribuer à l’enrichissement de la culture algérienne.
- Cheb Yazid. Chanteur : L’artiste en Algérie est perdu en l’absence de métiers de l’art
La Journée nationale de l’artiste est très importante pour nous, à condition de l’utiliser à bon essor. Pour faire un bilan des réalisations et voir aussi les défis à relever. Malheureusement, il y a plus de défis que de réalisations. Sincèrement, il s’agit d’un sujet très épineux. L’artiste en Algérie est perdu en l’absence de métiers de l’art (producteur, directeur artistique, manager, attaché de presse artistique, etc.).
L’artiste est livré à lui-même. En l’absence d’une stratégie globale, l’artiste passe son temps à attendre qu’on l’appelle pour une prestation isolée qui ne s’inscrit guère dans un projet artistique. Le réduisant à vivre au jour le jour. Logiquement, la carrière d’un artiste devrait être constituée de projets artistiques (album ou tout autre travail artistique) et toutes ses prestations devraient servir à les promouvoir.
Les prestations isolées ne devraient pas prendre le dessus. Malheureusement, chez nous, c’est l’inverse. Quant à la situation sociale de l’artiste, il y a tellement de choses à dire. D’abord avant de développer ce point, il faut noter que les critères de classification ainsi que les instances s’occupant de classifier les artistes sont inexistants.
Donc en l’absence d’une échelle de valeur artistique (actuellement en Algérie, le seul critère sur lequel les gens se basent pour évaluer un artiste, c’est les réseaux sociaux, notamment YouTube), il est très difficile de classifier. Par ailleurs, en l’absence d’une réelle prise en charge artistique, les travaux de nos artistes deviennent ponctuels et ne s’inscrivent nullement dans la pérennité.
Normalement, dès que le talent est détecté, il est pris en charge par une société de production qui fait tout le reste (relooking, séance photos, album, tournées, vidéos clips, promotion, émissions de télé, etc.), sans que l’artiste n’ait à courir dans tous les sens pour faire tout cela lui-même. Car cela pourrait avoir une influence négative sur la qualité de son travail artistique.
Par ailleurs, sachez que souvent, l’artiste reste des mois sans travail, s’il n’y a pas de festivités. Donc comment voulez-vous que l’artiste ait une situation sociale stable en l’absence d’un programme de travail à moyen et long terme. Comment va-t-il vivre ? En l’absence d’un contrat à moyen ou long terme, l’artiste est dans le flou et ne peut même pas contracter un prêt pour acquérir un logement ou autre.
De plus, l’absence d’associations défendant les droits de l’artiste n’arrange pas les choses. A mon avis, pour aller vers l’amélioration de la situation de l’artiste, il faudra passer par plusieurs étapes. La première serait de développer les structures de détection de talents. Ensuite, il faut développer les métiers de l’art, tels que le métier de producteur, directeur artistique, Manager, attaché de presse artistique, etc.
Puis, il faut veiller au respect des droits d’auteurs en réprimant sévèrement le piratage. Vient ensuite l’étape des contrats qu’il faut établir à court, moyen et long termes pour que l’artiste puisse avoir une vie normale sans surprise. En cinquième position, il faut penser à accorder des avantages sociaux aux artistes, comme l’accès au logement, la réduction au niveau des services, l’assurance…
Aussi, il faut mettre en place des structures de défense des droits de l’artiste (association, syndicat). Par ailleurs, il faut penser à mettre en place une aide juridique aux artistes pour les défendre en cas de résiliation arbitraire d’un contrat ou autre et mettre en place des structures de classification des artiste. Il faut également penser à la promotion.
C’est pour cela qu’il faut que les artistes aient accès aux médias afin de promouvoir leurs projets et enfin, sensibiliser la société et les entreprises à soutenir l’art, et ce, soit par le sponsoring, soit le mécénat.