Quand un plat dépasse la politique
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Le couscous est algérien ? Marocain ? Tunisien ? Qui maîtrise les meilleures techniques ? Quel est le meilleur couscous ? Stop ! Fini les débats sur les origines du couscous ; désormais, ce plat est déclaré patrimoine maghrébin commun et sera biQuand un plat dépasse la politique
Le couscous est algérien ? Marocain ? Tunisien ? Qui maîtrise les meilleures techniques ? Quel est le meilleur couscous ? Stop ! Fini les débats sur les origines du couscous ; désormais, ce plat est déclaré patrimoine maghrébin commun et sera bientôt classé ainsi. En janvier dernier, des chercheurs algériens ont annoncé plusieurs rencontres d’experts maghrébins qui discuteront d’un projet commun : l’inscription du couscous au Patrimoine mondial de l’humanité. Qu’on l’appelle t’aâm, seksou, kseksou, cousksi, berboucha…, le couscous est le plat qui unit différentes populations depuis des millénaires. Mais depuis plusieurs années, ces populations se débattent pour s’approprier l’origine de ce plat emblématique de la région maghrébine. Spécialement l’Algérie, la Tunisie et le Maroc où le sujet a toujours suscité des coups de gueule et des polémiques lors des manifestations culturelles et culinaires comme sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, la course prend fin avec plusieurs vainqueurs ! Le couscous n’appartiendra plus à aucun pays du Maghreb, mais rassemblera toutes ses populations. Des scientifiques et des chercheurs algériens l’affirment. En effet, le 22 janvier dernier, Slimane Hachi, directeur du Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH), a annoncé que des experts des pays du Maghreb allaient se réunir pour un projet commun : le classement du couscous au Patrimoine commun de l’humanité par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Un classement qui pourra peut-être adoucir les relations diplomatiques entre certains pays et calmer la guerre du classement et du patrimoine entre leurs populations. Pour Ouiza Gallèze, maître de recherches au CNRPAH, si ce plat mérite d’être inscrit au patrimoine humain universel, c’est grâce aux échanges qui sont la coutume de l’homme depuis des siècles. Mais il reste exclusivement berbère. «Il faut l’authentifier comme tel. Il est aussi mondial, pour cela il est important de mettre en place une ligne rouge pour visualiser son évolution, sans vouloir la changer ou la figer», assure l’experte. Symbolique Et Ouiza Gallèze d’ajouter : «Le classement n’est qu’un temps d’arrêt théorique dans l’histoire de celui qui opère. C’est lui qui prend conscience de cette valeur patrimoniale et se trace un programme de mise en valeur en organisant les événements comme celui de se vendre mais à un niveau plus important, plus varié et plus dynamique. Bref, plus coloré, à l’image de la région.» Par ailleurs, si cette reconnaissance concernera plusieurs pays — l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye, la Mauritanie et le Mali — c’est grâce à la symbolique du couscous qui les rassemble depuis des millénaires. L’experte Ouiza Gallèze affirme que cette symbolique est forte et représentative au niveau de la région. Pour elle, le couscous est beaucoup plus qu’un plat culinaire ; c’est un composant essentiel de l’identité culturelle. Il symbolise le partage, l’offrande communautaire et l’esprit de fête. Il rassemble et marque les grands événements heureux ou tragiques, au niveau familial et au niveau des traditions vécues dans les campagnes et aussi en ville. «Le couscous est un des plus importants plats dans les habitudes alimentaires du Maghreb et y est une tradition très ancienne. D’ailleurs, Ibn Khaldoun en a fait un composant essentiel dans la définition du Berbère ou de l’Amazigh quand il a dit “Le berbère est celui qui porte le burnous et mange le couscous…”», explique la chercheure. Aussi, ce plat est un signe d’honneur qui distingue le bon chef par le choix de la bonne épouse. «Une légende raconte qu’un chef de tribu quelque part dans ce vaste Afrique du Nord menaça sa femme, une étrangère nouvellement convertie à l’islam, de la tuer si elle ne lui préparait pas un couscous...» Couscoussier Et si l’on en est arrivé à cette symbolique c’est après plusieurs millénaire d’habitudes et de traditions. Mais dans le cas du couscous, il est impossible d’identifier un commencement ou une datation de cette tradition. «Comme le veut l’histoire, cette région est caractérisée par son blé, par voie de conséquence, elle engendre ou produit tout ce qui a trait au blé dur ou tendre, entier ou moulu, complet ou raffiné. Le couscous en fait partie», poursuit Ouiza Gallèze. Selon les scientifiques du CNRPAH, le couscous est né en Afrique, d’une origine purement amazighe. Les Arabes, eux, ont découvert et adopté la semoule lors de leur conquête de l’Afrique du Nord. Des fouilles, dans la région de Tiaret, ont permis la découverte d’ustensiles divers datant du IXe siècle, notamment un couscoussier. L’introduction du couscous dans la péninsule ibérique daterait de la période de la dynastie berbère des Almohades, au XIIIe siècle. Et sa popularité se propage alors rapidement en Espagne et au Portugal. Bien avant le colonialisme français, Rabelais en parle dans Pantagruel (1532) en l’appelant «couscoussou», alors qu’Alexandre Dumas, dans son Grand Dictionnaire de cuisine, l’appelle «coussou coussou». Sa consommation se répand réellement sur la rive nord de la Méditerranée au XXe siècle, par le biais des familles algériennes qui ont commencé leur migration vers le nord lors de la Première Guerre mondiale, puis les pieds noirs qui l’ont emporté dans leurs bagages après 1962, ainsi que les juifs maghrébins. Le couscous devient enfin le troisième plat préféré des français, selon une enquête réalisée en février 2014 pour le magazine Journal des femmes. Pétrole Selon Ouiza Gallèze, le couscous a résisté au temps, à l’oubli et aux changements des peuples à travers son internationalisation : «On ne peut aider le couscous à résister au changement, il a résisté sans nous. C’est justement son internationalisation qui lui a donné cette force.» Et si sur le terrain, on ne peut rien faire de concret pour garantir sa préservation, à l’intérieur des familles, il y a beaucoup à faire : «Tout doit se faire dans l’amont. Les familles, les cultures locales doivent continuer à faire ce qu’elles font très bien.» L’experte du CNRPAH ajoute qu’«il ne s’agit pas de décréter pour faire évoluer une tradition, la tradition n’obéit pas à l’esprit de loi. Il faut la laisser faire et la suivre pour la comprendre. Il faut écouter la société civile pour savoir ce qu’elle veut après l’avoir formée bien sûr, parce que là ce situe le problème de toutes les populations : la formation». Par ailleurs, de par son histoire et sa symbolique, le couscous est dans étendue, selon Ouiza Gallèze, plus importante que le pétrole. Car si le pétrole a un début et une fin, le Couscous, lui, n’en a pas. «Le couscous n’a pas de début et calme la faim. Le pétrole a été découvert par des machines sophistiquées, le couscous se trouve naturellement au fond de chacun d’entre nous. Si un jour il n’y a plus d’industrie pétrolière, supplantée par une autre forme d’énergie, il n’y aura plus d’économie pétrolière, mais tant qu’il y aura des terres et des mères au Maghreb, elles feront du couscous pour que les générations survivent à la disparition de l’économie pétrolière pour se reconstruire.» La chercheure explique : «L’histoire est un bon maître, soyons donc de bons élèves. Massinissa, constructeur du plus grand pays d’Afrique, a vendu du blé à l’Europe, Rome a fait de nous son grenier, d’ailleurs une des raisons de la colonisation de l’Algérie est le blé algérien. Alors le blé est l’avenir de ce pays comme il a été la gloire de son passé.» Par contre, par effet de modernisation, le couscous s’est industrialisé. Industrialisation Et là où s’arrête la tradition commence l’économie industrielle. C’est le challenge à venir. Le couscous n’a plus de frontières ; on le trouve sur les cinq continents. Et des machines peuvent produire du très bon couscous. Il s’est aussi enrichi, puisqu’on le trouve associé à toutes les viandes. Quant au rôle de l’inscription, des intellectuels et du travail en amont en général, affirme l’experte, c’est de continuer à faire ce distinguo. «L’Etat, s’il doit faire quelque chose, doit trouver des mécanismes pour encourager et mettre en valeur la ‘tradition de faire le couscous’ et non pas simplement ‘le plat du couscous’, par des encouragements spécifiques, non pas spécialement financiers, pour que la femme ne laisse pas la place à la machine. Le couscous est une histoire, c’est une appartenance, c’est un goût, c’est un partage, c’est un événement, c’est un souvenir.» Read more