Le corps de l’architecture, l’architecture du corps
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Infatigable, devenu une référence dans le monde de l’art contemporain, l’artiste franco-algérien Kader Attia a ouvert sa troisième exposition depuis le début de l’année 2018. «Les racines poussent aussi dans le béton», inaugurée le 13 avril aLe corps de l’architecture, l’architecture du corps
Infatigable, devenu une référence dans le monde de l’art contemporain, l’artiste franco-algérien Kader Attia a ouvert sa troisième exposition depuis le début de l’année 2018. «Les racines poussent aussi dans le béton», inaugurée le 13 avril au Musée d’art contemporain. Le Mac/val constitue une proposition originale, même si on y reconnaît les thèmes qui hantent l’artiste, le rapport à la mémoire, aux marges et à la modernité. Le titre de l’exposition «Les racines poussent aussi dans le béton» entre en résonance avec le lieu où elle se situe, la banlieue parisienne, une des pièces de l’exposition est d’ailleurs un travelling vertical d’une tour située face au musée. Dans un parcours qui est celui de l’anamnèse, reliant les différents moments d’une histoire personnelle et collective, la mémoire se diffracte entre deux éléments structurants de l’exposition, la fascination pour la modernité architecturale, la logique de son fonctionnalisme mais, en contrepoint, pour l’architecture traditionnelle si parfaitement adaptée à son environnement. L’artiste Kader Attia, enfant de la banlieue parisienne et de l’Algérie «profonde», travaille sur ces deux univers visuels, l’architecture des grands ensembles et celle des architectures traditionnelles, sur la manière dont elles façonnent les corps et dont le corps se construit. Le visiteur est invité à suivre un itinéraire qui fait alterner espaces ouverts et fermés, publics et intimes. Immergé dans les contradictions de modernité, il se confronte à différents matériaux, des plus durs, comme la cage de fer de la première salle, à ceux que Kader Attia aime à manipuler parce qu’ils sont malléables et sensuels comme les graines de couscous avec lesquelles il figure le site et la géométrie de la ville de Ghardaïa, ou encore à des hautement politiques, comme le sucre et le pétrole. Jeux d’espaces Devenu à son tour architecte de l’exposition, l’artiste joue sur les espaces et leurs conceptions non seulement dans le parcours mais en mettant en tension architecture vernaculaire et modernité internationale. La première et la dernière salle se répondent en ce qu’elles sont bâties sur cette opposition, matérialisée au début du parcours par la projection de deux films, Pépé le Moko (Julien Duvivier, 1937), où sont reconstituées les rues de La Casbah, et, moins connu mais tout aussi intéressant, le film de Verneuil, Mélodie en sous-sol (1963), montrant Gabin cherchant sa maison au moment de la construction des grands ensembles dans les années 1960. Dans la dernière salle, deux photographies sont juxtaposées, celle d’un puits traditionnel entouré par la belle végétation des oasis, et celle des traces d’une usine figurant la modernité (The End and the Beginning, 2013), comme si, définitivement, le dernier mot revenait à l’harmonie subtile qui existe entre le puits et l’environnement, tandis que la ruine moderne se situerait du côté de la mort. L’opposition tradition vernaculaire/modernité structure aussi le parcours au niveau des deuxième et troisième salles : à la volupté suggérée par les formes mamelonnées données aux graines de couscous, en référence au site de Ghardaïa s’oppose la salle suivante, installation à partir de poutres récupérées à Berlin, sorte de forêt décharnée. L’installation Skyline (2007-2012) — des réfrigérateurs revêtus de miroirs évoquant par les différences de taille les villes américaines — contraste avec l’espace privé qui lui succède, espace personnel où l’artiste rassemble ses images visuelles et olfactives. L’architecture du corps Le parcours est aussi celui d’une réflexion sur le corps et sous-jacente à celle-ci sur le temps qui passe, les collages de la première salle suggèrent cette pluralité des moments. La vidéo Réfléchir la mémoire (2016) où s’expriment notamment Norman Ajari et le comédien Khaled est une réflexion sur les perceptions du corps des Noirs ou des Arabes. Cette interpellation conduit vers le grillage devenu le symbole dans l’iconographie contemporaine opposé par les pays riches aux migrants : barrière trouée dans l’installation de Kader Attia, elle est conçue pour une performance qui suggère les possibilités de se glisser entre les mailles du filet avec sur le mur, en toile de fond, une inscription en blanc sur fond blanc, «Résister, c’est rester invisible». Résister, c’est garder dans un même temps la faculté de juger et la maîtrise de son corps. C’est aussi garder la mémoire des sensations liée à des cultures particulières, l’odeur de la menthe, du clou de girofle, la vue des galettes : une des dernières salles, figurant l’univers mental de l’artiste, rassemble aussi bien les sensations olfactives liées à la mémoire de l’artiste, avec — en son centre — une bétonnière broyant des clous de girofle, en référence au métier du père et aux odeurs de l’enfance-que visuelles, avec notamment la photographie de ses tantes façonnant des plats de terre (Nous n’avons jamais été modernes, 2013). Ainsi se tissent dans une exposition qui porte l’empreinte des attachements de l’artiste les fils d’une trame complexe qui noue interrogations, révoltes et affects. Read more