Sheikh Jackson : La barbe, la danse et le doute
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C’est un film qui a été projeté en avant-première mondiale au dernier Festival international du film de Toronto (TIFF). Depuis, il fait débat en Egypte, au Moyen-Orient et dans la plupart des festivals internationaux. Sheikh Jackson, du jeune cinéasSheikh Jackson : La barbe, la danse et le doute
C’est un film qui a été projeté en avant-première mondiale au dernier Festival international du film de Toronto (TIFF). Depuis, il fait débat en Egypte, au Moyen-Orient et dans la plupart des festivals internationaux. Sheikh Jackson, du jeune cinéaste Amr Salama, va représenter l’Egypte dans la course aux Oscars 2018 du «Meilleur film de langue étrangère». Le film, co-écrit avec Omar Khaled, débute par une scène surréaliste : un groupe d’hommes, vêtus de djellabas blanches et portant barbe, avance dans un décor nu, sous un ciel nuageux et sombre, pour enterrer un mort. Le dernier coup de pelle dans la tombe lance l’histoire à partir d’un néant noir. Dès le début, on comprend qu’il s’agit d’un drame psychologique qui va révéler son épaisseur au fil des images. Khaled Hany Abdelhay (Ahmed Al Fishawy), un jeune salafiste, est choqué par l’annonce de la mort de Michael Jackson en juin 2009. Cela va réveiller tous les amours enfouies chez ce jeune homme qui croit avoir trouvé «la bonne voie» et la quiétude dans sa vie en dirigeant la prière, les larmes aux yeux, à la mosquée, comme un signe de piété et de catharsis. Les souvenirs remontent alors à la surface. Petit, Ahmed portait le surnom de «Douda» (ver). A l’adolescence, il est surnommé Jackson par ses copains au lycée. Khaled adolescent (Ahmed Malek) va subir les brimades du père (Maged El Kedwany) après avoir perdu sa mère. Il se rappelle que son père lui avait dit que Jackson était «un efféminé» alors que sa mère lui disait qu’il était «le chanteur le plus célèbre dans le monde entier». Qui croire ? Khaled s’attache davantage au chanteur américain, qui a vendu le plus d’albums de toute l’histoire de la musique (plus d’un milliard d’exemplaires achetés !), et d’essayer de danser comme lui en cherchant à reproduire le célèbre Moon Walk qui allie marche et danse. Son père l’humilie publiquement dans un night-club lorsqu’il refuse de prendre sa revanche sur «un videur» qui l’a frappé. «Je n’ai pas enfanté d’un homme», crie le père devant les copains de Khaled. «Le rejet de la vie» Khaled plonge dans une sorte de crise de personnalité intensifiée par la relation tumultueuse avec le père, l’absence de la mère et l’influence de l’oncle. Il ne sait plus s’il faut continuer sur la route de la religiosité, perçue comme un bouclier contre les jouissances de la vie, ou raviver le grand attachement à Jackson et le lot de libertés qui va avec. Même sa vie de famille est perturbée. L’idée de la mort, suggérée lors de la première scène du film, revient rôder dans la tête de Khaled, lui qui dormait sous le lit pour «s’adapter» à la mise sous terre ! Amr Salama et Amr Khaled s’offrent ici une critique fine des mouvements radicaux qui bâtissent le plus gros de leurs discours sur «la peur de la mort», «le rejet de la vie», «l’au-delà»... Khaled est donc devant un vrai dilemme. Il vit suspendu entre les souvenirs, parfois tendres, du passé et les réalités, dures, de sa «nouvelle vie» d’homme suivant quotidiennement les horaires de la prière. Le scénariste n’a, malheureusement, pas pris soin d’expliquer le passage d’une vie à une autre de Khaled. Pourquoi a-t-il adopté facilement le salafisme après avoir dansé, pendant longtemps, sur les airs de Thriller, de The way you make feel ou de Bad ? Que s’est-il passé ? Est-ce à cause du rapport compliqué avec le père ? Est-ce en raison de «la récupération» par l’oncle maternel, salafiste lui aussi, qui agit comme un tuteur autoproclamé ? Khaled va à la rencontre de Chika, une ancienne copine de lycée devenue chanteuse. Elle lui dit : «quand j’étais jeune, je voulais jouer de tous les instruments. Dès que je touche un instrument, je m’ennuie et je me dis que j’ai échoué. Un jour, j’ai décidé de rassembler toutes mes expériences ratées». Des déclarations qui font réfléchir Khaled qui ne sait plus s’il a réussi ou raté sa vie. Après hésitation, Khaled va consulter une psychologue pour essayer d’en savoir plus sur ses troubles et ses cauchemars. Il hallucine au point de croire que Michael Jackson s’installe à l’intérieur même de la mosquée au moment de la prière parmi les fidèles. Une scène qui a fait scandale en Egypte. Certains ont vu que le long métrage attaque l’islam alors qu’avec intelligence, Amr Salama a évité d’entrer dans le couloir étroit du «Haram» et du «Hallal». Ce n’est même pas le propos du film. En dépit de cela, une autorité religieuse a essayé de faire pression sur les producteurs pour que le long métrage change de titre considéré comme… moqueur. On ne doit pas lier «le sheikh» à Michael Jackson ! Un homme ligoté Construit sur le flash-back et l’aller-retour temporel, le film est densifié par un montage cohérent qui ne laisse aucune faille et qui force le spectateur à ne rater aucune seconde du récit pour comprendre le déroulement de l’histoire. La narration de Khaled vient, parfois, accompagner des scènes et expliquer les transformations psychologiques du personnage. Le cinéaste a évité de reprendre les tubes de Michael Jackson dans le film, surtout à l’époque de l’adolescence de Khaled, dans les années 1990, pour, probablement, éviter de tomber dans la facilité et dans la caricature. Il a fait appel au compositeur Hany Adel (qui est également comédien) pour s’approcher du vaste territoire musical du roi de la pop. «Tu connais ton nom ?», interroge la psychologue. Khaled hésite quelque peu. Il a des troubles d’identité et des douleurs existentielles. Aurait-il été un autre homme si le rapport avec le père était plus apaisé ? La liberté que s’est offert Michael Jackson, auteur, compositeur, chanteur, danseur, chorégraphe et acteur, paraissait immense par rapport à son statut d’homme «ligoté» par les règles sociales, familiales et religieuses. Il est ligoté aussi par son incapacité à faire des choix et à se débarrasser de ce qui a été, probablement, décidé pour lui. Khaled va s’effondrer avant de remonter rapidement la pente. Amr Salama a accéléré la fin de son film sans rien trancher comme pour suggérer que l’histoire peut prendre une autre tournure, s’arrêter d’une manière brusque avec le basculement dans la folie ou prendre une autre direction. Tout dépend en fait de la force que Khaled peut trouver en lui après avoir compris, laborieusement, que son destin est entre ses mains, pas aux mains des autres (le salafisme est une affaire de collectivité aussi). Amr Salama n’a pas réussi à combler certaines faiblesses du film, obnubilé certainement par la puissance du scénario. Il a, par contre, su tirer de Maged El Kidwany, le meilleur acteur égyptien actuellement, tout ce qu’il faut pour assurer un rôle complet. El Kidwany en père aimant, coléreux, tendre, compréhensif, jouisseur et agressif a campé merveilleusement bien le rôle de Hany Abdelhay. Assis dans une baignoire avec une de ses copines, il pose une curieuse question : «Tu penses que le diable est un mâle ou une femelle ?» ! Le jeune Ahmed Malek a montré toutes ses capacités d’interprétation au grand écran contrairement à Ahmed Al Fishawy, moins convaincant, comme pour ses précédents dont Zay nahar dah, toujours avec Amr Salama. Read more