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Rencontré récemment dans le cadre de la tenue de la 7e édition du Festival international du film engagé à Alger, le réalisateur, Rachid Bouchareb revient dans cet entretien sur la problématique soulevée dans certains de ses films et sur la nomination«Je suis content que l’Algérie participe aux Oscars 2018»
Rencontré récemment dans le cadre de la tenue de la 7e édition du Festival international du film engagé à Alger, le réalisateur, Rachid Bouchareb revient dans cet entretien sur la problématique soulevée dans certains de ses films et sur la nomination de son film La route d’Istanbul aux Oscars 2018. - Vous abordez dans votre dernier film La route d’Istanbul le thème de la radicalisation, mais du point de vue d’une mère... Quand j’ai vu dans l’actualité des mères qui étaient dans cette situation un peu partout en Europe, j’ai trouvé intéressant de me mettre plutôt de ce côté-là. De l’autre côté, on en a beaucoup parlé. C’était dans l’actualité en permanence. Je me suis mis du côté d’une mère qui vit dans un endroit isolé, au fin fond de la Belgique, quasiment en campagne, se retrouvant confrontée à cette problématique. L’idée était de montrer tout l’itinéraire sur le plan émotionnel, parce que c’est cela qui m’intéressait beaucoup plus que le sujet. Je me suis mis du côté de cette mère pour voir comment cela peut être vécu et emmener le personnage en voyage. J’aime faire des films dont la trame a pour cadre la route. Pour moi, c’était une très bonne idée de continuer avec ce sujet et puis de l’emmener jusqu’en Turquie. Il y a d’ailleurs une partie du film qui a été tournée en Turquie et une autre en Algérie. Mais l’Algérie n’est qu’un décor et les acteurs algériens qui jouent dans le film interprètent aussi d’autres personnages. - Justement, il ne s’agit pas d’un film axé sur le djihadisme, mais plutôt sur la séparation brutale entre une mère et sa fille... Il s’agit plutôt d’une séparation entre une mère et sa fille. C’est beaucoup plus la mère qui se pose des questions, à savoir ce qu’elle a loupé dans sa vie au niveau de l’éducation de son enfant. On retrouve ce genre d’histoire dans d’autres de mes films, tels qu’Indigènes, ou Little Sénégal sur l’esclavage, ou London River sur les attentas à Londres, Cheb, que j’ai fait en Algérie, Baton Rouge, aux Etats-Unis avec de jeunes Algériens vivant en France et qui pensent que vivre aux Etats-Unis, ils auront un avenir peut être plus intéressant que celui qui leur est promis dans les banlieues françaises. C’est ce qui m’intéresse le plus. La dimension politique ne m’intéresse pas. - Mais la détresse de cette femme est-elle la résultante d’un islamisme radical ou est-elle due à l’incompréhension de l’Occident ? Je dirais que même moi, quand j’ai découvert ces mères qui témoignent, j’ai compris comment elles percevaient ce déchirement et comment elles le vivaient. Je dirais même que jusqu’à aujourd’hui, pour certaines mères et certains pères, cela reste mystérieux que leurs enfants partent sans crier gare. A un moment, on peut le ramener en dehors de ce sujet à d’autres thèmes. A titre d’exemple, quand on a des enfants, on va toujours se poser des questions à un moment donné pour essayer de savoir si les choses se passent mal et si notre progéniture prend une autre voie, que ce soit celle de la délinquance ou de la drogue, ou tout autre chemin qui paraît être contraire à tout ce qu’on a pu lui transmettre. C’est cela le secret de mon film. Il y a un mystère sur l’éducation des enfants. C’est là-dessus qu’il faut le ramener et pas sur autre chose. C’est cela le film et c’est ce qui intéresse le téléspectateur. Après, on relie la trame à la Syrie et le monde de la drogue. Je me suis plus attaché à cela. - L’enrôlement d’enfants pour le djihad en Syrie n’est-il pas spécifique aux pays arabes ? C’est cela qui m’intéressait et que j’ai trouvé étonnant. Beaucoup de parents européens se retrouvent dans cette situation. Pour eux, c’est encore très loin, c’est-à-dire un enfant qui se convertit à l’islam disparaît et devient complètement un étranger parce qu’il y a des scènes dans le film où ils arrivent à avoir un contact par skype. La mère ne sait plus qui elle a devant elle. C’est cela qui fait peur quand on est parent et que votre enfant se retrouve dans un autre monde face à vous et qu’il n’est pas dans le vôtre. C’est ce que raconte le film. - Avez-vous achevé votre dernier film, Le flic de Belleville ? Je suis en phase de montage. C’est une comédie avec Biyouna et Omar Sy. C’est une comédie policière qui se passe à Miami, en Afrique et à Paris. C’est l’histoire d’un flic à Belleville qui a une mère algérienne qui est Biyouna. Ils partent ensemble car ils sont mutés à Miami. La mère aime bien les personnages de fiction, Kojak et Colombo. Ce tandem de policiers a été très agréable à faire pour moi et de traiter cela sous l’aspect de la comédie. C’était intéressant pour moi de mixer les deux formidables acteurs Biyouna et Omar Sy. La sortie de ce film est prévue pour le 17 octobre 2018. - Vous êtes également sur d’autres projets, notamment sur un film documentaire lié à la Wilaya VII (La Fédération de France du FLN) durant la période 1954-1962... Il est tout à fait exact que je suis sur plusieurs projets, dont certains sur l’Algérie. En effet, je compte réaliser un documentaire sur la Wilaya VII à partir de mai 2018. Il s’agira d’archives et d’interviews. J’attaquerai le montage à partir de juin-juillet. Ensuite, j’entamerai une autre aventure cinématographique. - Vous insistez et prenez beaucoup de temps dans vos films pour l’interview, la recherche et les rencontres... Parce que je veux être certain. Il y a des choses que les gens vont vous dire que vous ne pouvez pas imaginer. Mon ami, le scénariste français Jean Claude Carrière, me disait que quand on est un écrivain ou un scénariste, on ne peut pas inventer des situations données dans la vie que l’on ne pourrait pas imaginer. Allez rencontrer les gens qui font vous parler de leur vie, que ce soit pour un film comme Indigènes, où je suis parti voir les gens de 75 ans. Comme le projet également qui traite de la Wilaya VII qui vous raconte comment de jeunes Algériens de 22 ans — alors qu’aujourd’hui ce n’est rien d’avoir cet âge — ont pris fait et cause pour la Révolution sans aucune hésitation. Je me dis : mais comment cela est-il possible ? Comment on décide de faire la Révolution ? Cela m’a tellement passionné pour en faire d’abord le matériel de Hors-la-loi, mais je voulais aussi les filmer et leur rendre hommage à travers un film documentaire que je vais réaliser dans quelques mois. Beaucoup de gens se sont sacrifiés durant la Révolution algérienne, mais dans le monde d’aujourd’hui, à quel moment la jeunesse se sacrifie ? Pour changer un monde aujourd’hui, c’est plus cela. Tout le monde est attaché à son téléphone et à la société de consommation. Le monde actuel dans son ensemble va très mal. Je ne sais pas où on va aller, mais à mon humble avis, là on a l’air d’aller vers la fin du monde. - N’est-ce pas un cri de détresse que vous lancez ? Mais non, ce n’est pas un cri de détresse. On voit bien cette mondialisation. On voit bien ces millions de gens qui sont sur les routes. Ils cherchent, pour ceux qui ont une famille, à avoir une meilleure vie pour leurs enfants et pour eux-mêmes. Aujourd’hui, ce n’est plus seulement par rapport à des problèmes économiques que les gens migrent, mais aussi à cause des catastrophes naturelles qui vont devenir de plus en plus importantes. Nous ne sommes plus dans une émigration d’il y a 17 ans liée à l’économie, mais à cause des guerres qui ont lieu un peu partout dans le monde. Personne ne fait rien pour que les choses s’améliorent, alors dans certaines parties du monde il y a quand même ceux qui sont privilégiés. Même si on a peu de choses, on est quand même privilégié par rapport à tous ces gens. - La route reste un leitmotiv dans vos films... C’est exact. Mes parents sont partis d’Algérie dans les années 1940 avec une valise seulement. Je suis issu de parents qui sont arrivés en bateau à Marseille. Il y a des milliers de personnes comme ça. C’est cela mon histoire. Mon histoire est là. Elle est là aussi dans le fait que mes parents sont rentrés un jour pour vivre en Algérie, du côté d’Oran et de Maghnia. J’étais tout le temps dans cette histoire de l’émigration et puis d’un voyage à venir qui serait celui qui continue après. - Vous êtes arrivé jusqu’aux frontières du Mexique avec votre téléfilm Just Like a Woman ? Oui, mais c’est parce qu’un jour je suis parti à Santa Fe, au Nouveau Mexique. Je suis allé plus loin et j’ai vu un impressionnant mur. Je me suis dit c’est fou de construire à la frontière sur des centaines de kilomètres. Et puis, je suis rentré chez moi et je me suis dit que le sujet m’intéressait. Alors, je suis parti enquêter là-bas pendant plus d’une année, et là j’ai rencontré des gens incroyables, pas dans le bon sens du terme. J’ai trouvé un type qui était millionnaire en Californie, mais pour protéger son pays, il est parti habiter à cent mètres dans un lieu isolé près de la frontière mexicaine où un mur sépare les deux pays. Il a acheté un avion et s’est mis à patrouiller. Le mur devant chez lui n’est pas fini car il s’étale sur 350 kilomètres. Mais à un moment devant chez lui, le mur s’est arrêté. Des milliers d’Américains le suivent, car il a construit un studio de télévision derrière ce mur. Il fait des émissions et il a des milliers de gens qui le soutiennent dans l’Amérique qui viennent de temps en temps en pèlerinage le voir. Il patrouille, fait des photos et des rapports à la Maison-Blanche. Donc, faire des enquêtes, cela amène à faire des choses qu’on ne peut pas imaginer. Surveiller cette frontière m’a paru très problématique. Et même le fait de penser à un mur dans mon enquête. - On retrouve aussi un autre mur dans votre film policier La voie de l’ennemi avec l’acteur Forest Whitaker... Je me suis inspiré et j’ai acheté les droits du film français Deux hommes dans la ville, avec Jean Gabin et Alain Delon. Ce sujet me plaisait, mais je me suis dit que pour camper le rôle d’Alain Delon, c’est Forest Whitaker qui le tiendrait. Je fais un Afro-Américain converti à l’islam. Cette porte d’entrée m’a aidé à partir sur ce projet. Et l’idée du mur m’a permis d’intégrer les deux, c’est-à-dire que j’avais le mur, mais il me fallait un sujet qui me permette de rentrer dans la société américaine à travers la communauté afro-américaine. Cela a été une addition avec Forest Whitaker. - Les thèmes récurrents de l’islam et du musulman reviennent souvent dans tout votre cinéma… Je suis d’une culture où l’islam est présent dans ma famille et dans son histoire. Cela fait partie de mon histoire et de mes origines. Dans mon film Indigènes, c’était la réalité quand j’ai parlé aux soldats, ils m’ont dit qu’ils faisaient la prière avant d’aller au combat. Aujourd’hui, cela a pris une dimension, mais nous à l’époque, la famille priait normalement. Notre monde, c’est l’âme. Moi, ce n’est pas par rapport à cela, je n’y fais pas attention. Il s’intègre naturellement parce que c’est dans ma culture. C’est pour cela que je me sens bien de mettre mes personnages là-dedans, car moi aussi je veux me retrouver dedans. Dans Little Sénégal, le personnage principal traverse l’Amérique. Il s’arrête au bord de la route pour faire la prière. Sans plus. - Vous représenterez l’Algérie aux Oscars 2018... Disons que je représente l’Algérie depuis 20 ans. Je suis allé plusieurs fois aux Oscars. Ce n’est pas comme la première fois quand cela m’est arrivé. Maintenant, je le vis comme une étape professionnelle importante mais pas nouvelle. C’est comme le premier amour qu’on n’oublie pas. Il y a des premières fois dans la vie qui nous marquent. Et puis, la première fois, il n’y avait pas tous les moyens. C’était autre chose. Aller aux Oscars était un choc. La deuxième fois, pour Indigènes, il y a eu Cannes, le succès du film, la distribution américaine et la rencontre avec les artistes américains. Le tapis rouge n’est plus pareil. Le voyage est fait. Il est agréable à faire. Cependant, je suis content surtout d’une chose, j’ai lu un article dans un journal professionnel américain qui faisait le point de tous les films qui sont proposés cette année. Il commençait à faire une liste de simulations. Et à un moment donné, le rédacteur mentionne : «Attention de ne pas exclure l’Algérie». Je suis très content pour le pays et pour le cinéma algérien. Cela m’émeut beaucoup. Je trouve que c’est bien que l’Algérie soit présente le plus souvent possible. Il y a des choses qui se construisent. Il ne faut pas laisser un trou pendant dix quinze ans et puis avoir l’oubli. On est un pays qui participe à cette compétition, qui a déjà remporté un Oscar, et ce n’est pas rien. C’est à promouvoir, je pense. Read more