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Le Festival national du théâtre professionnel, la situation de l’artiste et la place du théâtre pour enfants sont, entre autres, les sujets que nous avons évoqués avec le dramaturge Khaled Bouali. D’autres étaient aussi dans le menu de cet artisteLe Festival du théâtre professionnel demeure un pâle reflet de ce qu’il devrait être en réalité
Le Festival national du théâtre professionnel, la situation de l’artiste et la place du théâtre pour enfants sont, entre autres, les sujets que nous avons évoqués avec le dramaturge Khaled Bouali. D’autres étaient aussi dans le menu de cet artiste exceptionnel, qui s’est mis longtemps à l’écart, et qui est revenu éclairer l’opinion public sur l’importance de l’art dans une société comme la nôtre. - Vous avez assisté à la 12e édition du Festival national du théâtre professionnel organisée du 23 au 31 décembre 2017 au TNA. Que pensez-vous des pièces présentées ? Franchement, mis à part quelques pièces, le reste demeure du bâclage. Je m’explique. D’abord, il y a reprise d’anciennes pièces très mal imitées. Ensuite, certaines d’entre elles restent floues parce qu’elles parlent de plusieurs sujets à la fois de façon superficielle, au lieu d’approfondir les différents aspects du problème fondamental traité par le sujet. Aussi, l’ensemble des pièces est hétéroclite, du moment qu’il rassemble des sujets concernant d’autres sociétés et des problèmes d’un autre temps, qui n’ont rien à voir avec la réalité algérienne. Du coup, le festival demeure un pâle reflet de ce qu’il devrait être en réalité. - Selon vous, comment devrait-il être ? Un espace véritable de création artistique et dramatique. Il devrait s’attaquer aux sujets les plus percutants et les plus représentatifs de l’actuel algérien, des problèmes sociopolitiques et donner une image de la société algérienne aux prises avec ses propres contradictions. L’une des pièces les plus réalistes est celle intitulée Kechrouda du metteur en scène Ahmed Rezzak. Elle nous place face à des problèmes actuels vécus par les citoyens. Elle met l’accent sur la misère de la classe prolétaire et sur les pressions permanentes auxquelles elle s’expose. Il y a aussi la pièce intitulée Suicide de la camarade morte, du théâtre régional d’El Eulma, mise en scène par le jeune Faouzi Ben Brahim et écrite par Mohamed Adlen Bekhouche ; elle met en exergue des situations dramatiques décrivant l’aliénation totale d’une société où les valeurs ont disparu. Il s’agit en fait d’une jeune personne qui, par désespoir, songe à se suicider et finit par se retrouver à l’hôpital psychiatrique, qui préfigure la société algérienne. Ce travail m’interpelle parce qu’il met l’accent sur la frustration générale de différentes franges de notre société. Mon souhait est justement d’encourager les jeunes talents, auteurs et metteurs en scène, qui apportent une nouvelle touche au théâtre algérien. - Donc, selon vous, le théâtre ne doit traiter que des sujets liés à la réalité de la société algérienne. Ne doit-il pas être créatif et traiter aussi des sujets en lien avec l’universalité ou avec la réalité des autres sociétés ? Je dirai que l’art théâtral devrait être représentatif de la réalité d’une société donnée. Cela dit, il ne faudrait pas réduire sa mission au milieu et à l’environnement où il apparaît. Il lui faut se pencher sur le passé, appréhender le futur et aspirer à l’universalité. En fait, l’art théâtral est le meilleur ambassadeur puisqu’il est le miroir où se reflètent la culture et la civilisation d’une société ou d’une autre. Et c’est à travers les arts, dont le théâtre est le père, qu’on peut mesurer le degré de l’évolution et l’épanouissement des sociétés humaines. Donc, on ne peut pas occulter le regard vers l’autre et l’ouverture sur le monde, au risque de friser la neurasthénie et l’enfermement sur soi. L’important reste l’expression de sa propre société pour donner une image juste et profonde de la réalité qu’elle vit. - Cela nous fait comprendre que vous défendez la promotion d’un théâtre algérien. Peut-on parler aujourd’hui de l’existence d’un théâtre proprement algérien, car beaucoup disent aussi que ni Alloula ni Kateb n’ont réussi à créer un théâtre algérien. Qu’en dites-vous ? C’est justement pour cela que je défends l’idée de promouvoir le théâtre algérien et c’est la raison pour laquelle j’encourage les jeunes auteurs et metteurs en scène à traiter, en premier lieu, des sujets du vécu et de la réalité algériens. J’aurais souhaité qu’il y ait au moins cinq ou six instituts d’art dramatique et chorégraphique où l’on enseigne tous les métiers et toutes les matières ayant trait à ces arts. Il faut aussi organiser un nombre plus conséquent de festivals, d’ateliers de mise en scène, d’art du comédien et d’écriture dramatique, ainsi que l’édification d’autres théâtres. Il est regrettable de constater qu’il n’existe qu’un seul théâtre à Alger, alors qu’il devrait y avoir au moins une douzaine, afin de réserver le théâtre national pour la représentation des œuvres dramatiques de valeur. - Qu’en est-il de la place du théâtre pour enfants et dans les milieux ruraux ? Je dirai que cette place est problématique. En fait, il n’existe pas ou presque pas de théâtre pour enfants. Le mieux serait d’insérer dans le programme de nos écoles primaires une matière à part entière pour le théâtre. Son enseignement représente non seulement une activité artistique et culturelle, mais surtout un espace où l’enfant peut s’exprimer et, par là, se divertir et révéler ses dons. Ce n’est que par ce moyen qu’on peut avoir de véritables auteurs dramatiques, de vrais comédiens et comédiennes, des metteurs en scène de renom et un vrai théâtre algérien. Par ailleurs, le théâtre dans les milieux ruraux avait commencé dans les années 1970 avec les étudiants qui allaient jouer dans les campagnes et villages, mais aussi dans les usines pour la masse ouvrière. Cet élan fut rapidement stoppé par les instances supérieures, car il était un véhicule d’éveil et de prise de conscience. Or, il ne faudrait en aucun cas priver les communautés rurales d’un tel moyen de culture et de divertissement, étant donné qu’elles représentent une partie importante de la société algérienne où vivent aussi des enfants comparables à ceux des villes. Pour ce faire, il faut édifier les théâtres de verdure, rouvrir les salles de cinéma, si elles existent, et à défaut utiliser les écoles et encourager les coopératives à aller y jouer. - Comment voyez-vous la politique culturelle de l’Etat en ce qui concerne le théâtre ? Je constate qu’elle est réductionniste. Les espaces réservés à l’activité théâtrale sont insuffisants, compte tenu de l’immensité et de la démographie galopante de notre pays. Un jeune de Tamanrasset, pour ne citer que cet exemple, s’il est doué et a l’ambition de faire quelque chose dans ce domaine, doit se déplacer à Alger pour suivre des études à l’Institut supérieur des métiers des arts du spectacle (Ismas) de Bordj El Kiffan, le seul institut existant sur le territoire national. Faut-il parler ici de l’équilibre régional en matière de culture et d’art ? Aussi, les fonds réservés à ce secteur restent très inférieurs et n’encouragent aucunement l’épanouissement de cet art. Notons également que les œuvres dramatiques en dialecte algérien, seule langue du théâtre, ne sont publiables ni par les maisons d’édition ni par le ministre de la Culture. Il serait aussi juste d’évoquer la place du théâtre en langue numide qui mérite plus d’intérêt et des fonds conséquents afin de le hisser à la place qui lui revient de droit. - Nous ne pouvons finir cet entretien sans évoquer avec vous la situation de l’artiste, du comédien en particulier. Vous êtes aussi auteur et metteur en scène. Vous connaissez mieux que d’autres ce à quoi font face les gens de votre domaine. Pouvez-vous vous confier sur cette question qui reste encore un sujet de débat ? Je suis tenté de dire que la situation de l’artiste en général et du comédien en particulier est on ne peut plus tragique. C’est le cas de le dire, lorsqu’on sait que les authentiques d’entre eux sont mis à l’ombre. Et si l’art véritable est gelé, c’est parce qu’il y a une volonté politique manifeste pour lui substituer de pseudo-artistes. C’est pour cette raison que notre art est avili et qu’il n’a nul écho dans le monde. L’art véritable est, par défaut, révolutionnaire ! Read more