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Dans El Ghaïb, spectacle produit par le théâtre Sirat Boumediène de Saïda et présenté au théâtre Abdelkader Alloula, le personnage de l’absent est omniprésent Mourad est de retour d’exil à la maison paternelle, le pater familias n’étant pluPrésences/absences et ressentiments
Dans El Ghaïb, spectacle produit par le théâtre Sirat Boumediène de Saïda et présenté au théâtre Abdelkader Alloula, le personnage de l’absent est omniprésent Mourad est de retour d’exil à la maison paternelle, le pater familias n’étant plus de ce monde. Le disparu, de son vivant, l’en avait chassé , Mourad n’est cependant pas le seul absent/présent du drame familial. Ainsi, le défunt continue de nourrir les détresses de sa famille en raison de ce qu’il a été pour chacun de ses proches. Moudjahid, francophobe et mentalité féodale, à sa guise et au détriment de leur épanouissement, il a régenté la vie de chacun d’eux, que ce soit son épouse, Nabil son autre fils, Souad, sa fille et Adel son petit-fils. La mère, emblématiquement, n’a pas de nom dans la pièce pour n’avoir vécu que par et pour les siens. Le père n’en porte pas également, mais il lui suffit d’avoir été le centre de tout et de tous. De ces derniers, Mourad est toujours en ébullition contre l’autoritarisme paternel. Ecorché vif, il n’est pas dans la résilience à laquelle invite la mort de son géniteur. Il est même de retour pour effacer son souvenir matériel, engageant ses cohéritiers à la vente du domicile familial au prétexte de régler la question de l’héritage. Après son bannissement par son père, il commet la pire incartade qui puisse. Il choisit… la France comme terre d’exil, et… une Française pour épouse. Sa sœur l’accueille froidement à son retour. Bien qu’elle ait raté sa vie en partie par la faute du père, elle accuse Mourad de trahison. Dans la famille, il y a un troisième… futur absent en Adel, le neveu de Mourad et fils de Souad. Il attendait l’oncle pour plier bagage avec lui outre-Méditerranée. Il y a enfin un quatrième absent : le regretté Mostefaï Mohamed, comédien et dramaturge de Saïda, décédé il y a à peine une année. Car pour figurer la présence tutélaire du père, c’est le portrait géant de Mostefaï qui a été placé dans ce qui figure le salon familial. C’est l’unique moment d’émotion du spectacle pour le public averti. De la part de Mohamed Mourad Moulay Méliani, le metteur en scène, faire incarner à Mostefaï, par-delà la mort, un personnage, est certainement le plus bel hommage qu’il pouvait rendre à sa mémoire. Au final, El Ghaïb présente le mérite d’aborder la question de l’identité et de son trouble dans ce qu’elle a de plus intime, au-delà de la tradition freudienne, une question éludée par le théâtre algérien. Néanmoins, au plan dramaturgique, les intentions de l’auteur, Aïssaoui Abdelwahab, se devinent davantage qu’elles ne sont incarnées parce que mal amenées pour s’imposer comme des évidences. Pis encore, les coups de théâtre qui font tout l’intérêt du texte sont mal négociés pour produire leurs effets. Son autre faille est dans l’artificialité de l’écriture, se déclinant en un pauvre arabe classique, la darja et le français. L’usage des trois langues n’est justifié ni sur le plan de la dramaturgie ni de la vraisemblance. Pis, il n’y a aucune réplique qui cingle. Les comédiens dont les qualités sont connues par ailleurs n’habitent pas leur propos. Ils sont dans la déclamation. Pour ce qui est de la mise en scène, elle a commencé de façon prenante, dans la suggestion, le visuel et le sens de l’ellipse sur un rythme de tableaux/plans quasi cinématographiques. Moulay Méliani y résume succinctement la phase de présentation, démontrant qu’il maîtrise l’art de la narration. Mais une fois que l’écriture scénique enfourche le style du théâtre langagier, le spectacle verse dans la théâtralité et l’artifice. A ce moment, le metteur en scène perd de vue que les silences peuvent être plus expressifs que le verbiage et les éclats de voix. Le visuel, le contrepoint musical, l’éclairage saisissant et une scénographie inventive, appelés en grand renfort, ne suffisent pas à sauver les meubles. Qui obligeait Mohamed Mourad à cela ? Il devrait à l’avenir réfléchir plus d’une fois avant de s’engager dans un hasardeux challenge. Sa crédibilité artistique est à ce prix. Read more